Jehanne m’a brûler (2)

Jehanne m’a brûler

Psychanalyse (du mythe) de Jehanne d’arc

Chapitre I

Ma Jeanne d’Arc à moi, à 7 ans

Extrait de mon livre Histoire de France. Cours élémentaire de CE 1 et 2 années de H. Flandre et A. Merlier, illustré par P. Rousseau. Librairie GEDALGE. Imprimerie Crété Corbeil-Essonnes, 1955. Livre retrouvé intact chez Pierre Brillard, le libraire-ancien-véto (à lire dans les deux sens !) de Tarascon et acheté aussitôt 5 €. Merci Pierre.

Plutôt que de reprendre l’histoire de Jehanne à la manière de Michelet, Max Gallo ou d’un autre érudit, l’idée m’est venue, pour ce début, de revenir au petit temps de mon jadis ; celui des encriers violets, des pupitres qui claquent et de ma maîtresse d’école, Madame Marx (ben oui !) que j’aimais bien quand elle nous racontait l’histoire bien que j’eusse un faible pour l’Oncle Paul qui dans Spirou nous offrait, sinon le son, du moins les images et les phylactères.

Voici donc l’extrait ; je signale que les expressions soulignées le sont ainsi dans le livre d’école. Le titre du chapitre de la page 26 est :

« La merveilleuse histoire de Jeanne d’Arc

Après Du Guesclin, la France est de nouveau envahie par les Anglais, l’ennemi s’installe à Paris et le roi de France n’est presque plus obéi.

Notre pays paraît perdu, il est sauvé grâce à Jeanne d’Arc. C’est la plus belle des histoires. Jeanne est une petite paysanne d’un village de Lorraine : Domremy. Etant enfant, elle entend autour d’elle les gens parler des malheurs de la France, elle écoute et pleure.  Un jour, elle raconte qu’en se promenant dans le jardin, elle a vu une grande lumière dans le ciel et qu’elle a entendu une voix qui disait : « va voir le roi et chasse les Anglais.- Comment ferais-je, je ne sais ni faire la guerre, ni même monter à cheval.- Va, reprennent les voix, Dieu t’en donne l’ordre. »

Jeanne se décide à aller trouver le seigneur de la petite ville de Vaucouleurs, près de chez elle. Elle lui demande de la mener au roi. Il se moque d’elle : « Renvoyez-la chez son père, avec des gifles. Elle est folle ! » ;%ais jeanne entend toujours ses voix. Deux fois, elle retourne chez le seigneur de Vaucouleurs, qui consent enfin à lui donner un cheval et six soldats pour l’accompagner, à travers un pays plein d’ennemis, jusqu’à Chinon, en Touraine, où est le roi Charles VII.

Jeanne part sauver la France et elle n’est qu’une petite paysanne de dix-sept ans !

Questions .- Où se passe la scène d’après l’image ? –Montrer la maison de Jeanne d’Arc .- pourquoi Jeanne est-elle à genoux, la tête levée ? – Que voit-elle ? Qu’entend-elle ?

Le minot d’environ 7 ans que je suis n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles ! Ainsi, une pâle et frêle jeune fille, comme celles qui vont à la messe et qui ricanent à tout bout de champ, et qui aurait tout aussi bien habiter le village de mes grands parents à Cossaye dans la Nièvre et se trouver dans le pré en bas de leur maison au milieu des pêchers en fleurs, fut choisie par Dieu pour sauver notre pays en guerre. Etonnant, incroyable!

La guerre ! J’en entends parler très souvent à la maison. Elle s’est finie un an avant ma naissance, m’a dit ma grand’mère à qui je demandais si, par hasard, elle avait connu Vercingétorix ! Il faut dire que je fais des bonds fantastiques d’une époque à une autre et que je suis un champion de la contraction du temps.

C’est pourtant clair : les ennemis pour moi, ce sont les Allemands depuis des siècles. J’en ai très peur. Car, je n’ai pas envie qu’ils reviennent, avec leurs casques à pointe, comme des doriphores sur les pommes de terre, pour tuer mes parents et ma grand’mère et ma petite sœur. J’ai 7 ans, l’âge de raison et je fais des cauchemars à ce sujet.

Mais je ne sais pas bien qui sont les Anglais. Alors, j’ai demandé à Mémé qui m’a fait la leçon « Heureusement qu’on les a eus les Anglais et aussi les Américains, sans eux on était fichus ! » …

Ill.de R. Rousseau in H. Flandre & A Mercier

Les Indiens précurseurs de la psychanalyse?

L’attrape-rêve : les Indiens d’Amérique du Nord précurseurs de la psychanalyse ?

Attrape-rêve cheyenne circa 1900. Coll.GL

[Comme suite à ma conférence sur L’attrape-rêve, tradition et clés du songe donnée le 13 janvier 2012 à l’ATRIUM, Mairie de Saint Rémy de Provence.]

Les attrape-rêve se balancent au gré du vent dans les boutiques de souvenirs du monde entier : dream-catcher, appelé aussi piège à soucis, ou spider-web-charm (charme en forme de toile d’araignée), la plupart des touristes n’en connaissent pas l’origine et encore moins la légende. C’est un très vieil objet chargé de sens qui dans les tribus amérindiennes du Nord (Grand Lacs) protège les songes des enfants dans leurs berceaux et sert dans la quête de vision des adultes. Le cauchemar envoyé par les esprits malfaisants est arrêté dans les mailles et détruit au lever du soleil. Fixé avec une plume d’aigle dans la chevelure, l’attrape-rêve reçoit les visions des esprits afin de guider la vie quotidienne de la tribu.

Après avoir décrit les légendes, les rituels et la richesse de la symbolique amérindienne, j’ai abordé dans cette conférence les aspects psychanalytiques du rêve et notamment à la mode « occidentale ».

Moment de repos nécessaire à la vie psychique pour exprimer les désirs refoulés, le rêve est « la voie royale vers l’inconscient » (Freud). Langage riche de symboles et d’archétypes provenant de l’inconscient individuel ou collectif (Jung), le rêve permet de se délivrer de l’angoisse et sa réminiscence joue un rôle primordial dans la cure analytique.

Il apparaît, selon divers auteurs anthropologues américanistes (Densmore, Wallace) que les cultures chamaniques, notamment la culture algonquine et iroquoise, déjà au XVIIe siècle, avaient pressenti, avec beaucoup d’acuité psychologique, l’intérêt du rêve comme moyen introspectif.

La cinquantaine de participants très attentifs à ma conférence se prit aussi à réfléchir sur les rêves prémonitoires, les cauchemars (rêves d’angoisse) et sur l’inconscient collectif.

Si j’ai pu paraître un peu trop prudent aux yeux de certains et certaines sur les méthodes de lecture et les dictionnaires d’interprétation des rêves foisonnant sur Internet notamment pour tenter d’éclairer le futur, la raison est simple : il est très difficile de déduire des généralités applicables à chacun de nos rêves. Cela dépend du contexte, de l’individu et de ses croyances comme le précisaient Freud et Jung. Si la recherche du sens du rêve est un des temps forts de la cure analytique, il apparaît que les peuples premiers ont, comme bien souvent, anticipé sur nos concepts et nos pratiques psychothérapeutiques.

Les personnes intéressées retrouveront l’article que j’ai écrit en 2004 dans L’autrecliniquescultures et sociétés, 2004, vol.5, n°1, pp31-46 …Pour avoir l’article intégral que j’ai réactualisé cliquez sur ce lien et vous l’aurez en pdf :  ATTRAPE-REVE GUY LESOEURS

Guy Lesoeurs

Psychanalyste et anthropologue

Attrape-rêve et poupée indienne. Coll. GL
L'autre, Cliniques, cultures et sociétés. Les mondes de la nuit. La pensée sauvage, 2004

Jehanne m’a brûler


Jeanne libérant Orléans. Vitrail Eglise St Sulpice de Fougères
Vitrail St Sulpice de Fougères

Jehanne m’a brûler

Psychanalyse (du mythe) de Jehanne d’arc

par Guy Lesoeurs (ouvrage en cours d’écriture)

Pour introduire cet essai…

La fièvre « arcienne » : une actualité brûlante

6 Janvier2012, la France se rapetisse et se tapit au fond de son terrier tandis que la bataille élective s’enfle. A défaut de cent ans, ce sera une guerre de cent jours. Les uns écument les routes, d’autres ratissent les ondes tandis que l’Anglois, dé-livré (£££), n’a pas payé la rançon et déserté la terre européenne, comme à l’accoutumée.

Les preux écuyers viennent défendre leurs prétendants au trône. De Bourgogne, Normandie, de Bretagne, de Champagne, de Nice ou de …l’Intérieur, les chevaliers non teutoniques mais tétant aux mamelles de la bonne mère patrie, se querellent pour un mot malheureux, un sale-à–malec, sac à malices, disons un sarcasme tisonnant dans l’âtre. Et le feu de la haine simulée est stimulé par les disciples d’ENA, de Polytechnie ou des Pontifes déchaussés, nos grands prêtres laïques et suppôts du savoir.

Le président sortant (et peut être rentrant) se recueille à Domrémy pour célébrer l’anniversaire de la Pucelle tandis que les autres prétendants, parfaites ex-vierges effarouchées ou chevaux de retour aux naseaux écumants enragés par tant d’audace, crient « au loup » à l’unisson. Mais Nicolas dans l’entre-deux, détenteur de la chose publique, n’est pas le seul pèlerin, qu’on se le dise ! Le mythe de Jehanne est un gâteau juteux et bien tentant surtout quand il permet d’exacerber le sentiment communautaire et de symboliser le repli dans le sein chéri maternel. Regroupons-nous et demain…

Des loups, il y en a partout et beaucoup en Lorraine en ce 6 Janvier 1412. Le royaume de France est exsangue et réduit à la portion qu’on gruge (je sais : on dit congrue!). L’Anglois et le Bourguignon s’empoignent le goulot avec les Armagnacs. C’est la guerre de cent ans. Les routiers et les égorgeurs de tout bord attaquent les paysans et pillent les églises. En ces temps de meurtres, de complots et de ruines, la France semble abandonnée de Dieu et les Français sont comme des veaux allant à l’abattoir. Voire ! car en ce jour de frimas, à Domrémy, naît la paysanne qui va sauver la France, pas encore mère des armes, des arts et des lois chantée par le poète Du Bellay.

« Va, Jeanne, va, je crois en toi. Va et advienne que pourra » Robert de Baudricourt se serait adressé à la Pucelle-guerrière en 1429 ! Prémonitoire.

Va-t-on encore demander à la pucelle fileuse de laine de repérer entre tous celui ou celle qui conduira la mère–patrie au milieu de cette basse-cour piaillante et à l’haleine quelque peu nauséabonde qui croque sur le dos des manants en compagnie des prêteurs sur gage, triplant leurs cotations et leurs bénéfices ?

Voilà pour l’affaire Jehanne d’Arc qui s’est renouvelé de siècle en siècle avec une fièvre « arcienne » aux moments où les hommes et femmes politiques recherchaient des parangons de vertu de Jaurès à Mitterrand en passant par Pétain, De Gaulle, Royal et Le Pen jusqu’à ses nouveaux prétendants au royaume de France qui, de nos jours, requièrent la caution de la Pucelle, de la Gauche à la Droite, afin de gratouiller les archétypes inconscients des électeurs.

Ce jour du 6 janvier, avec ce billet d’humeur et d’actualité, j’inaugure la première page de : « Jeanne m’a brûler. Psychanalyse (du mythe) de Jehanne d’arc . Ainsi je revendique la paternité du titre de cette série de chapitres qui seront rassemblés dans un ouvrage que je compte publier, in fine. Assurément, Jehanne et son mythe vont me faire bûcher !

Je vais tenter de démontrer que la pucelle, à travers le temps et le mythe, est l’incarnation du repli communautaire et de la renarcissisation d’une élite et d’un peuple.

Guy Lesoeurs

Psychanalyste

Jehanne. Collage de GLartis, 2012
Jehanne. Collage de GLartis, 2012

LE CRIME DE LA RENARDE, roman par Michèle Lajoux

Le crime de la renarde, roman de Michèle Lajoux aux Editions Le Cherche Midi, 143 pages, sortie en librairie prévue le 12 janvier 2012

Après Puisque c’est la vie (2009), récit autobiographique et Le Guetteur du Midi (2011) grande fresque historique de la fin du XVIe siècle, Michèle Lajoux réussit avec le roman Le crime de la renarde un véritable coup de maître. L’historienne s’affirme comme une romancière hors pair, que l’on peut qualifier d’intimiste tant son écriture souple, directe et précise fait sortir ce qui est enfoui, bloqué, enchâssé au cœur du personnage qu’elle met en scène.

Dans sa cellule pénitentiaire où elle purge une peine de vingt cinq ans pour infanticide, Cendrine couche sa vie sur des cahiers sur les conseils de sa psy. Le lecteur prend, comme une douche incessante, le flot de cette langue venue de l’inconscient et qui progresse à coups d’association d’idées et sans émotion de la prisonnière. Mais le lecteur est loin d’être noyé, il est emporté par les mots.

Les mots. Enfin adulte, Cendrine joue avec l’écriture des mots qu’enfant elle n’a jamais su maîtriser comme d’ailleurs sa vie. « Je sentais comme un vertige devant les mots, ils étaient trop nombreux, je ne savais jamais lesquels choisir. Quand j’étais enfant, ils voletaient au dessus de ma tête, comme des papillons que je ne réussissais pas à saisir».

Dans sa cellule, Cendrine fait « de jolies phrases, tout doucement sans me presser pour ne pas casser le fil. […] les souvenirs sont des fils d’araignée, si on tire trop fort ils cassent mais ensuite on en retrouve des bouts collés partout, emberlificotés dans les méandres des galeries du cerveau».

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