La rencontre des cultures au Québec :

 

 

Léon Ouaknine signant son dernier ouvrage
Léon Ouaknine signant son dernier ouvrage

 Lorsqu’une culture essaie de s’enraciner chez l’autre, le dialogue ne se déroule pas dans un salon mais dans la vraie vie, dans l’usage partagé des équipements publics, dans le monde du travail, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans l’arène publique, dans les média, bref dans le quotidien de la vie commune avec la culture d’accueil. Cela ne se fait pas sans difficultés. C’est pourquoi le dialogue des cultures d’ici et d’ailleurs s’avère non seulement désirable mais impératif si on veut éviter d’éventuels débordements xénophobes.  Mais le dialogue ne sera fécond que si les protagonistes parlent vrai, sinon ce sera l’enlisement dans les sables mouvants de la bienpensance, avec comme conséquence attendue, le réveil brutal comme la Suisse le découvre au détour d’un référendum.

Il faut bien comprendre qu’un dialogue des cultures ne ressemble en rien à un échange intellectuel parce que chaque culture a un fond irréductible d’irrationalité, indissociable de ses mythes et de ses valeurs. La culture n’est pas une proposition intellectuelle, c’est avant tout une identité. S’il fallait en donner une image, je dirais que la rencontre des cultures, c’est comme la rencontre de deux personnes, ce qui déterminera leur compatibilité et le plaisir qu’elles auront à dialoguer, ce sera leurs affinités et ultimement leur compatibilité, c’est-à-dire leur convergence sur les valeurs essentielles de la vie commune.

Le législateur a inventé la notion d’accommodements pour permettre à « l’Autre » de s’insérer dans un tissu sociétal qui lui est souvent étranger par quelques aspects. L’accommodement doit être raisonnable, ce qui signifie qu’il ne doit en aucun cas porter atteinte aux valeurs profondes et à l’identité de l’accueillant. L’accommodement, du point de vue de celui-ci, a pour vocation de faciliter l’intégration de l’autre dans son espace sociétal qui n’est pas vide d’identité. Cet accommodement ne peut être indéfini de même que toute politique de discrimination positive ne peut être que temporaire et non permanente sous peine de venir nier sa véritable raison d’être.

Cette approche généreuse est fondée sur un énorme malentendu, parce que la politique de multiculturalisme présuppose tout d’abord que sur un plan philosophique toutes les cultures se valent et que par ailleurs même au sein de l’espace identitaire de la société d’accueil, les pratiques du nouveau venu disposent d’une égale légitimité à reconfigurer le cadre sociétal du pays. Comment interpréter autrement la recommandation, il y a quelques années, du commissaire aux droits de la personne de l’Ontario, de faire droit aux demandes de création de tribunaux islamiques de la famille.

Or, l’accommodement aux valeurs et aux pratiques de l’Autre, a également un effet réel même s’il est difficilement quantifiable, sur l’espace psychologique nécessaire au confort existentiel de celui qui doit accommoder. En effet, comme pour tout individu, il y a pour toute culture, un « dedans » et un « dehors » une sorte de peau qui définit un intérieur et un extérieur physique et psychique, une frontière entre le soi et l’autre.  En occident, le dialogue avec l’autre se déroulait jusqu’au siècle dernier loin du centre de la culture d’appartenance des protagonistes ; soit aux marges de l’empire, dans les colonies ou intellectuellement dans les salons de l’élite ou par l’entremise des explorateurs – l’autre, c’était par définition l’exotisme, comme l’a si bien souligné Montesquieu avec son livre « comment peut-on être Persan ». Lorsqu’on cessait de dialoguer avec l’autre, on était instantanément replongé chez soi, dans son « dedans » ; le miroir ne renvoyait que le reflet de soi. C’était rassurant !

Sous l’effet de la mondialisation, les multitudes de l’autre, donc leurs cultures, se trouvent soudainement transplantées au cœur de mon chez-moi, ils ne sont plus « dehors », ils sont « dedans » ; la présence de l’autre, d’exotique devient envahissante, et le miroir à chaque coin de rue me renvoie un reflet d’une inquiétante étrangeté ; suis-je toujours chez moi ?

Les sociétés occidentales sont de plus en plus multiculturelles, multiethniques, multi religieuses ;  l’Autre qui prend racine chez moi, revendique et affirme sa différence ; il demande et parfois exige que la culture d’accueil se transforme pour accommoder ses valeurs et son particularisme.  Il y a de ce fait de moins en moins de « dehors » et de « dedans » et cette dissolution des limites secoue durement le cadre de références sociétal qui régit les rapports avec l’autre.  On aime que notre milieu de vie soit un prolongement de notre identité, un reflet de soi même, la société comme chez-soi est sinon une nécessité, du moins un désir comme tous les exclus sociaux le savent.  Tout cela est profondément anxiogène et explique le sentiment rampant de malaise  dans de nombreux pays occidentaux dont le Québec.

Nous sommes donc, à l’instar de la plupart des pays européens, un composite multiculturel, interpellés au quotidien par les aspérités du « vivre-ensemble ».  Les journaux se font sans cesse l’écho des ajustements que les communautés immigrantes requièrent de la société d’accueil au titre des « accommodements raisonnables ». 

Le bon sens  appelle au dialogue des cultures en présupposant du désir des tenants de chaque tradition ou culture, d’éliminer de leurs rapports tout conflit possible. Cette aspiration louable use inévitablement de la langue de bois parce qu’elle est condamnée à ne jamais nommer la réalité, sous peine de froisser ou même de blasphémer. Cette approche s’appuie implicitement sur certaines présuppositions erronées ;

La première erreur est de croire que l’existence de valeurs communes entre les cultures en dialogue est une garantie de bon voisinage et de compréhension.  C’est assez fréquemment l’inverse.  L’islam et le christianisme ont plus en commun entre eux – la notion d’un dieu transcendant – qu’avec le bouddhisme qui récuse cette même notion ; pourtant ils sont plus en mode de compétition entre eux qu’avec le bouddhisme.

la deuxième erreur, c’est d’ignorer que la culture n’est pas un construit rationnel, mais un ensemble inextricable d’affects, de croyances et de comportements inconscients, imperméables habituellement à la raison parce que la culture est une identité !

La troisième erreur est de croire que l’on peut vivre sans conflits.  Quelle illusion ! L’état de conflit est indissociable de l’humain[1].

Chaque culture a quelques valeurs originelles qui dictent ce qui est bien et mal, ce qui est vrai et faux, ce qui est licite et illicite, ce qui est désirable et ce qui est à proscrire, bref ces valeurs configurent l’expression physique et morale du « vivre ensemble » de ses membres. Malheureusement pour l’harmonie du monde, les valeurs originelles des différentes cultures sont souvent mutuellement exclusives.  À titre d’exemples, comment dialoguer pour une culture comme l’Islam, qui proclame l’unicité absolue et transcendante de Dieu, avec une culture comme l’Hindouisme, qui proclame l’existence de plus de 300 millions de divinités ; l’une regarde l’autre comme un blasphème, chacune affirme l’évidente erreur de l’autre ; l’une réprouve absolument l’abattage des vaches, l’autre ne voit aucun inconvénient à les manger.  En Europe, le suisse Tarik Ramadan[2] a suggéré en novembre 2003 aux docteurs de la loi[3] un moratoire sur la lapidation de la femme adultère mais a refusé d’en demander l’abrogation pure et simple ; un autre imam à Lyon en France revendique au nom de la religion le droit d’affirmer publiquement que la femme adultère doit être lapidée. Comment imaginer que dans un pays adhérent à la charte des droits et libertés, on puisse jamais accepter de telles assertions et pratiques sans déroger aux valeurs les plus fondamentales de la charte ? Nous avons nos propres démons et déments qui ne supportent pas que la femme puisse s’affirmer sans restrictions, comme le massacre de l’école polytechnique il y a vingt ans nous l’a douloureusement rappelé, alors ne donnons pas droit de cité à ceux d’une religion qui consacre officiellement par décret divin, l’infériorité de la femme.

Il n’y a pas de dialogue possible et fécond entre cultures hors de la garantie par l’État des libertés fondamentales et du respect de ces droits par tous.   

Pour pouvoir dialoguer avec leurs vis-à-vis, les progressistes au sein de chaque culture vont devoir introduire les notions de modérés et d’extrémistes ; les extrémistes sont les fondamentalistes dont une minorité dérive vers le terrorisme pour imposer ses vues suprématistes ;  les modérés sont les tenants du dialogue, ceux qui cherchent les solutions raisonnables.  Or les modérés ne peuvent dialoguer qu’en mettant de coté certains de leurs  préceptes doctrinaux, c’est-à-dire des croyances et valeurs constitutives de leur culture.  De la même façon qu’on arrive maintenant à inactiver certains gènes délétères chez l’animal, les modérés, pour être modérés, n’ont d’autre choix que de rayer de la carte génétique de leur culture, temporairement ou définitivement, certains de leurs fondements sacrés.

La culture occidentale, minée par le relativisme et la conscience malheureuse de son passé hégémonique  recherche les compromis au nom du respect louable de la différence de l’autre. Elle se réfugie dans une forme de tolérance molle, en appelant à des accommodements souvent mal pensés, qualifiés fréquemment et improprement de raisonnables, visant par lâcheté politique à acheter une paix illusoire, une paix bancale pour avoir fait l’économie d’un débat indispensable.  L’effervescence actuelle en témoigne, les présentes politiques de multiculturalisme sont maintenant ouvertement contestées en Suisse, en Angleterre, en Hollande, en Italie, dans les pays nordiques, en France ainsi qu’au Canada et au Québec. 

Au Québec, dans pratiquement toutes les situations où des « accommodements » ont été requis par les communautés culturelles, la dimension religieuse était au centre du litige ; en fait, on peut presque affirmer que le débat sur la nature du multiculturalisme québécois est un débat sur l’accommodement des religions au sein de l’espace public de la nation et que le mot culture sert de paravent au mot religion.

Dieu ne parle pas d’une même voix à tous ceux qui l’écoutent ; si cela était, on le saurait. Babel est plutôt la norme ! Or comment instaurer le vivre-ensemble dans une nation si on ne dispose pas d’une compréhension commune du bien commun. Seule la raison est capable de produire un dénominateur commun, seule elle permet un regard critique sur tout, puisqu’elle ne reconnaît aucun territoire interdit, telles les vérités révélées de ceux qui parlent aux multiples divinités. Comment concilier alors le respect des particularités de chacun, des multiples cultures, religions, modes de vie, avec la nécessité d’un lieu commun où tous peuvent se retrouver ?

La réponse de l’Occident, c’est bien sûr le principe de laïcité, la séparation de l’Eglise et de l’Etat.  L’une parle du salut, l’autre de la raison en marche. D’un coté les espaces identitaires privés – domaine d’expression libre des choix individuels et des communautés religieuses et culturelles – de l’autre un espace public doté d’une essence universelle, d’un savoir-être commun à tous.  Il va de soi que seul l’espace public peut être porteur des valeurs chargées de maintenir l’unité et la cohérence de la collectivité nationale, depuis que celle-ci n’est plus monolithique dans son identité. Ces valeurs communes quoique se voulant de portée universelle, ne peuvent toutefois émerger que de coutumes propres à une société historiquement constituée, c’est-à-dire spécifiques à une identité non universelle.  Cette identité particulière va au cours du temps servir de matrice au développement de l’espace public de cette société, espace public certes dégagé de sa gangue religieuse mais dont l’identité originelle est ineffaçable.   Les structures et les codes implicites de fonctionnement de l’espace public d’une société reflèteront donc l’éthos du peuple fondateur – méritocratie américaine, différentialisme aristocratique anglais, élitisme égalitaire français, pragmatisme flou du Québécois… – La laïcité n’implique pas le renoncement à son histoire ; les églises ne sont pas des espaces publics, cela ne les empêchent pas cependant d’être simultanément des lieux de cultes et des monuments historiques, témoignant de la continuité civilisationnelle du peuple qui les a édifiées.

Le grand débat culturel de l’heure, c’est évidemment de savoir si en occident, l’islam est compatible avec la laïcité.  Les tensions sont vives face aux multiples requêtes de transformation de l’espace public, de la part de certains groupes musulmans, comme la demande de réserver certaines plages horaires aux femmes dans les piscines municipales ou exigeant des lieux de prière dans les établissements publics, sous peine de poursuites judiciaires comme ce qui advint avec l’École Supérieure de Technologie de Montréal.  Ce débat est-il spécifique à certaines cultures dont  l’islam ?  Il semble que l’intégration des chinois en occident ne soulève pas ce type de difficultés, en effet  malgré l’importance de leur communauté, aucune friction de ce genre n’a émergé entre les Parisiens et les 500.000 chinois de la grande agglomération.  Probablement parce que ceux-ci ne contestent pas le principe de laïcité des institutions publiques, soit la séparation de l’Église et de l’État, autrement dit la distinction entre sphère privée et sphère publique.

 

 

 

 

Léon Ouaknine

 

Consultant

Ex DG d’établissements de santé et de services sociaux au Québec

Ex Directeur du diplôme universitaire de qualité en santé Faculté de médecine, Kremlin-Bicêtre, Université Paris-Sud, France

 

 

 


[1]Dr Samir Mouny, l’Autre 2002 « Penser l’ennemi »

[2]Célèbre intellectuel suisse musulman , professeur invité dans de nombreuses universités, petit-fils du fondateur de la confrérie des frères musulmans en Egypte Hassan El Bana.

[3]Cette demande de moratoire fut refusée par les docteurs de la loi.

Ciel! Tu ne réponds jamais et pour cause…

Léon et Stéphanie
Léon et Stéphanie

Léon Ouaknine, notre ami français du Canada, vient de publier aux Editions Grenier à Montréal :  » Il n’y a jamais eu d’abonné au N° que vous avez appelé! Conversations entre un père et sa fille » (285 pages, 19 dollars canadiens), un ouvrage que nombre de bien-pensants classeront dans les ouvrages iconoclastes ! Et ils auront bien raison, pour une fois !

Mais le livre de Léon va beaucoup plus loin que le pamphlet anti-clérical ou anti-Dieu , il est l’œuvre d’une pensée lucide au travail qui tente de démonter les effets malsains des croyances et des establishments religieux. Léon s’attaque aux croyances établies et aux idées reçues par les hommes d’un dieu qu’il soit chrétien, judaïque ou musulman.

Je ne dirai pas que Léon est athée car ce serait l’affubler d’une croyance, celle de l’inexistence de dieu (au passage, remarquez que je ne mets pas de majuscules au mot « dieu » ; non pas que je sois sous influence car Léon continue lui d’en mettre une- ce qui me semble un reliquat de respect même à l’inexistant- mais parce que je décide dans cet article de le prendre comme un objet et non comme un sujet).

Laïc : c’est le mot qui pourrait le mieux s’approcher de Léon à condition qu’on lui colle l’adjectif « raisonnable ». Léon est un laïc « plein d’usage et raison » qui est revenu … au Québec « pour vivre entre ses parents le reste de son âge » (du Bellay).

Voilà pour l’auteur. Quant à Stéphanie, sa fille, plutôt qu’un faire-valoir des idées de Léon, elle lui apporte par ses questions une réplique intelligente sans naïveté feinte.

Editions Grenier, Montréal
Editions Grenier, Montréal

Cet ouvrage est une vraie et belle thèse c’est-à-dire que Léon démontre pourquoi l’individu et le groupe ont eu besoin de religion « l’un des plus forts agents que l’humanité ait jamais inventé pour unir, solidifier et préserver les caractères spécifiques des groupements d’homo sapiens depuis ses débuts en petites bandes familiales jusqu’à la tribu et la nation » (p.79) . Léon analyse, avec sa fille, les preuves de l’inexistence de dieu et surtout en montre toutes les conséquences politiques, éthiques et civilisationnelles.  

Pour reprendre une phrase  célèbre à propos de la liberté : religion, que de crimes commis en ton nom ! De l’inquisition au jihad islamique en passant par les dragonnades qui poussèrent à l’immigration mes ancêtres (oui les miens) vers Saint Hélier et Londres !

« Quoi de commun entre les attentats contre des cliniques d’avortement aux Etats-Unis et le jihad islamique en Algérie ? Quoi de commun, si ce n’est le refus de la liberté de l’autre  au noms de valeurs sacrées, révélées en d’autres temps  et d’autres lieux, par les messagers de Dieu ! » (p.13)

A Stéphanie qui s’étonne : « les religions n’ont pas les mains nettes. Pourquoi malgré tout jouissent –elles d’une telle impunité ? » Léon répond « Pour deux raisons : d’abord parce que la religion agit comme une force de cohésion ethnocentrique de son  troupeau…[…] cette impunité tient à sa fonction d’intermédiaire pour l’obtention de l’absolution divine des actes mauvais. […] comment oser , dans ces conditions, interpeller la religion, intercesseur auprès du ciel , pour exiger qu’elle rende des comptes ; peu de gens s’y risquent. » (pp.80,81).

Il faut aussi dire, mon cher Léon, que l’histoire proche nous montre qu’en religion comme en politique, les pervers, les fanatiques sont ceux qui sont le plus facilement crus au détriment des gens de bon sens, ceux qui ne font pas de bruit. Les croyants, manipulés et soutenus par leurs prêtres extrêmists, se livrent alors aux pires excès. Je suis aussi déçu que Cabu par l’attitude on ne peut plus tiède des religieux qui savent faire la part des choses, et il y en a beaucoup.

  » Je suis frappé de voir, en ce qui concerne les musulmans, à quel point les modérés ne s’expriment pas et laissent faire des choses terribles en leur nom.  » Cabu, dessinateur. 

 Léon Ouaknine est donc un homme de raison et de savoir. Il écrit «  qu’il ne se cache pas d’un parti pris délibéré pour la raison sur la foi, pour la connaissance sur la croyance, pour l’éthique réfléchie  sur les catéchismes en tous genres. Ce choix n’est pas arbitraire. L’usage de la raison offre une prise argumentée du réel, ce que ne font pas les religions, réduites à la foi, aux incantations et aux prières. »

Dans un monde idéal fait de respect mutuel et de bonne entente entre les terriens, le fait de croire au sacré ne devrait pas altérer le jugement au point de commettre des crimes contre la liberté. Utopie de ma part ?

Dans sa conclusion, Léon va plus loin en opposant Dieu et la Raison (mettons des majuscules!) et il nous dit clairement que l’esprit humain traîne la religion comme un boulet depuis des temps immémoriaux et que cela va aujourd’hui encore l’empêcher de relever de nouveaux défis. Ainsi, s’affranchir de la religion devrait être faire partie le viatique pour le futur, pour un autre Etre humain.

Ton livre m’a breaucoup fait réfléchir … moi qui mets mon espoir en l’homme et qui pense que Dieu existe et qu’il est en nous… Le reste n’est qu’histoires de prêtres de toute confession et cela ne m’intéresse pas plus que les arguments pour ou contre les minarets à côté du château Frontenac, de la cathédrale de Bâle, du Musée du Louvre ou de la chapelle des Baux de Provence…A te lire, Léon..

 Guy Lesoeurs

Lancement du livre au Québec suivre…

http://www.lebruyant.com/index.php?option=com_content&task=view&id=286&Itemid=36&limit=1&limitstart=1

NON A LA BURQA DANS L’ESPACE PUBLIC par Léon Ouaknine

Léon OuaknineLéon Ouaknine est un français vivant à Montréal. Il a travaillé à l’Hôpital Sainte Justine comme conseiller pour la planification stratégique et a exercé, enFrance, comme consultant dans le domaine de la santé et de l’organisation des systèmes de soins, Léon est retourné avec sa famille au Québec. Il continue à travailler dans le domaine de la santé et du social, il est membre du Conseil Interculturel de la ville de Montréal. Nous travaillons en duo à un ouvrage sur la bienpensance et Leon vient de publier aux Editions Grenier à Montréal, un livre « Il n’y a jamais eu d’abonné au N° que vous avez appelé ! Conversations entre un père et sa fille. Voici son article que je publie sur mon blog dans « humeur canadienne ». Bien entendu, les propos n’engagent que son auteur et la discusion est ouverte.

Guy Lesoeurs

Non à la burqa dans l’espace public

Lorsque deux personnes se rencontrent, elles procèdent dans un même mouvement à deux opérations inhérentes à toute vie sociale : chacune s’identifie et simultanément essaie de décoder les intentions de l’autre à son égard. Elles s’identifient essentiellement par le visage, lequel est par définition l’affirmation probante de qui on est – nos photos sur les cartes d’identité ne nous montrent pas de dos ou de profil mais de  face. Elles décodent les dispositions de leur vis-à-vis, non comme le chien par son odorat ou le frétillement d’une queue, mais en lisant littéralement le visage qui leur fait face, parce que chez l’homo sapiens, la vue est l’organe prédominant par excellence – ce sens lui apportant 80% de toutes les informations qu’il utilise. Toutes ou presque toutes les émotions fondamentales de l’homme s’expriment sur son visage : amour, amitié, joie, plaisir, respect, tristesse, mais aussi agressivité, énervement, rage, colère, peur, calcul. Le visage est un livre ouvert, il reflète plus ou moins fortement l’état mental  du sujet, et hors les autistes, tous les êtres humains savent instinctivement et la plupart du temps très correctement lire ce qui est basique sur les visages. Ce processus est automatique, hors du contrôle de la volonté. Il advient en un clin d’œil, travail inconscient mais très efficace. Cette faculté innée s’appuie sur une structure physiologique particulière. Le  Dr David Zald[1], professeur de psychologie à l’université Vanderbilt du Tennessee, a mis en évidence que le complexe amygdalien, une petite partie du cerveau, traite les images de visages menaçants ou marqués par la peur beaucoup plus vite (quelques millisecondes) que toute autre émotion, preuve selon le Dr Zald que face à une menace potentielle, l’impératif de survie immédiate prime sur tous les autres. Bien entendu, il arrive à chacun de parfois mal décoder les intentions de l’autre, soit par manque de vigilance, soit parce qu’on a affaire à des gens qui présentent délibérément un visage lisse et indéchiffrable, mais on se méfie habituellement de ceux qui camouflent leurs états intérieurs et on agit avec plus de prudence avec eux.

La biologie impose à tout homme le besoin de déchiffrer sur le champ l’état mental de tout interlocuteur surgissant dans son espace d’interaction, la culture prend ensuite le relais pour codifier les réactions en retour. Même vis-à-vis de l’être aimé, chacun sait qu’il faut ajuster ses dires et ses comportements selon l’humeur du moment. Or on n’a encore rien inventé de mieux pour savoir presque instantanément comment se comporter dans le rapport avec l’autre, que de scruter le visage de celui-ci. La biologie et la culture expliquent ainsi pourquoi aucun vivre-ensemble n’est pensable dans une société masquée.

Et pourtant, aujourd’hui, notre société est confrontée à une infraction potentielle à cette obligation sociale d’avancer à visage découvert dans le cadre du vivre-ensemble, celle que font peser les pratiquantes volontaires ou forcées de la burqa. Examinez la burqa et que vous dit le visage caché ? Il ne veut être ni identifié ni être lu, le contraire des impératifs biologique et culturel élémentaires du vivre-ensemble. L’emburquinée ne veut pas d’interaction sociale dans l’espace public, toutefois elle exige de profiter des services sociétaux. Si elle hèle un taxi, elle considérera comme une atteinte à ses droits que celui-ci refuse de la prendre au motif qu’elle est masquée et qu’il lui est donc impossible de l’identifier et de lire son visage. Même situation avec le chauffeur d’autobus, même inconfort des autres voyageurs dans une rame de métro, même désagrément du marchand. Un problème se pose ! Si l’emburquinée refuse les conditions sine qua non de toute interaction sociale dans l’espace public, pourquoi ses vis-à-vis fournissant des services publics ou marchands dans cet espace commun sont-ils légalement obligés de transiger avec elle ? Au nom de quel principe peut-on leur imposer cette obligation alors qu’une des conditions de toute transaction humaine manque à l’échange ? C’est ce déséquilibre dans l’échange social qui explique pourquoi la grande majorité de la population se sent mal à l’aise à la vue de ces fantômes noirs, c’est ce refus de la plus élémentaire des transactions humaines qui explique pourquoi l’emburquinement est inacceptable dans des sociétés basées sur le respect mutuel.

Le refus de la burqa dans l’espace public est-il un signe d’intolérance comme l’affirment deux personnages bien connus, le philosophe Charles Taylor, ex président de la commission Bouchard/Taylor sur les accommodements raisonnables, et l’avocat spécialiste des droits de l’homme Julius Grey. Dans le quotidien La Presse du 9 octobre 2009, le premier déclare, « On commence avec la burqa et on finit avec quoi ? » le deuxième « Moi-même, je peux sortir habillé en Rigoletto ou porter un chapeau haut de forme ». Face à ces affirmations, comment réagiraient messieurs Taylor et Grey si des naga sâdhus, indous très pieux qui vivent intégralement nus et qui par leur dévotion remplissent un rôle religieux très important aux yeux des adeptes de l’indouisme, décidaient d’exercer leurs droits religieux à Montréal ? Pourquoi ne pourraient-ils pas vivre nus sur la place publique, si à l’autre bout de l’éventail on tolère au nom du respect des croyances religieuses de chacun, le noir enfermement de la burqa sur cette même place publique ? La loi et les règlements n’interdisent pas aujourd’hui la burqa dans l’espace commun, mais ils interdisent la nudité intégrale partout, sauf en privé ou dans les camps de nudistes. Sur quel article de la charte des droits et libertés s’appuierait-on pour autoriser la pratique de la burqa et interdire la pratique des naga sâdhus ? J’aimerais bien avoir du philosophe politologue Taylor et du juriste Grey une réponse franche et directe à cette question ? On dira bien sûr que cette situation est hypothétique et improbable vu le type de climat du Québec. C’est vrai, mais ce qui importe ici, c’est de réaliser que la volonté d’accommoder les diverses coutumes et multiples impératifs religieux dans l’espace public ne peut manquer de générer des tensions entre les diverses sensibilités religieuses dont beaucoup sont par essence totalitaristes, puisqu’elles prétendent régenter du lever au coucher toutes les pratiques humaines de leurs fidèles. Le principal et premier champ de bataille demeure, on s’en doutait, la femme ! Lorsqu’au sein d’une société, les valeurs défendues sont mutuellement exclusives, le vivre-ensemble est sur une pente dangereuse.

Certains avancent l’argument d’un biais culturel pour ne pas dire raciste de la part des détracteurs de la burqa, puisque ceux-ci ne s’objectent pas aux habits ostentatoires des religieux chrétiens ainsi que des juifs hassidiques. Je répondrais qu’il y a dans ces deux exemples, une différence absolument fondamentale d’avec la burqa. Les nonnes et curés et même les hassid – qui découragent pourtant l’interaction des leurs avec les autres – se promènent à visage découvert et par là, ils respectent les deux impératifs biologique et culturel de toute société : s’identifier et laisser lire leurs visages. D’autres diront qu’il est faux d’affirmer que ces deux impératifs soient une nécessité fondamentale de toute collectivité, puisqu’ il y a des sociétés où l’emburquinement des femmes est général  et que pourtant ces sociétés existent depuis des siècles. C’est vrai et faux. Ces sociétés perdurent mais au prix de l’exclusion de la moitié du genre humain. Imaginons un instant une société idéalement égalitaire face à la burqa, où les hommes également auraient l’obligation de la porter ; combien de temps cette société pourra-t-elle perdurer ? Poser la question, c’est y répondre ! Non, le refus de la burqa ne relève ni d’un biais culturel, ni d’un biais antireligieux. Invoquer l’un ou l’autre traduit, soit une indigence de la pensée, soit une manipulation délibérée, soit et c’est le pire, la confusion entre racisme et défense de la laïcité chez ces chantres de la bienpensance.

Le débat sur la burqa est un des épisodes de la poussée obscurantiste qui vise avec acharnement à grignoter petit à petit le caractère laïc de nos sociétés. Ce n’est pas en permettant que des femmes se retranchent volontairement ou sous contrainte des conditions élémentaires de la vie sociétale, que l’on promeut l’intégration au sein du vivre-ensemble québécois. D’aucuns diront qu’accepter la burqa dans l’espace public n’est qu’une petite entorse au principe d’équité dans l’échange social et que vu le nombre de burqa, il n’y a pas de quoi s’alarmer. Je ne suis pas d’accord, accepter cette injustice faite aux femmes, c’est ouvrir la porte à des demandes similaires dans le monde de la santé, dans celui de l’éducation et finalement dans la totalité de l’espace public. Ces choses là me font penser à l’expérience bien connue de la grenouille qu’on met dans une casserole pleine d’eau froide et qu’on fait chauffer doucement. La grenouille, bien à l’aise au départ finit par mourir ébouillantée, parce que le changement de température est si insidieux que ses réflexes ont été engourdis au point qu’il finit par être trop tard pour elle de réagir. La bienpensance, c’est pareil, elle finit par provoquer la sidération et la castration des esprits pour reprendre les termes d’ Alain Finkielkraut.

Où nous mènent de tels acquiescements et de telles démissions, sinon vers une société dont l’espace public aura été irrémédiablement clivé ? La bienpensance de nos élites politiques et intellectuelles fait aujourd’hui prévaloir la liberté religieuse sur le principe d’égalité des hommes et des femmes ; quelle ironie, c’est au Québec que ces mêmes élites ont féminisé, avant tout autre pays, tous les titres professionnels ! Aujourd’hui : burqa, droit d’être desservi par quelqu’un dont le sexe est conforme aux obligations religieuses du demandeur, refus d’appliquer une partie des programmes requis par le ministère de l’éducation dans certaines écoles privées religieuses juives ultra-orthodoxes, pourtant subventionnées par l’État. Demain : tribunaux islamiques de la famille et tronçonnage de l’éducation dans l’école publique lorsque des élèves refuseront des cours contraires à leurs croyances. Toutes ces demandes ne sont pas imaginaires, elles sont sur la table et n’attendent que l’opportunité d’être actées. Si, comme la grenouille, on se laisse engourdir, on en arrivera à une libanisation de l’espace public.

 

Léon Ouaknine

Octobre 2009

L’auteur est membre du Conseil Interculturel de la Ville de Montréal. Il s’exprime ici à titre personnel.

 


[1] Scientific American.com, 14 octobre 2007, interview du Dr Zald.

Attrape-rêves: plus qu’un gadget… une tradition amérindienne

attrape-rêves objiwa ou cherokee vers 1900 avec plume d'aigle, Coll. personnelle
Attrape rêves objiwa, circa 1900, Collection personnelle

 

Un très vieil objet rituel indien d’Amérique du Nord garnis de plumes et de fourrure Vous le voyez se balancer au gré du vent dans les boutiques de souvenirs du monde entier : l’attrape-rêve, dreamcatcher, appelé aussi piège à soucis, ou spider-web-charm (charme en forme de toile d’araignée). La plupart des touristes n’en connaissent pas l’origine et encore moins la légende. C’est un vieil objet chargé de sens.
Jusqu’au milieu du XXe siècle et encore maintenant dans certaines tribus amérindiennes du Nord, l’attrape-rêve sert d’objet rituel pour protéger les songes des enfants dans leurs berceaux et dans la quête de visions des adultes. Entretenue par l’artisanat local, la coutume de l’attrape-rêve dans les chambres est toujours vivante en Amérique du Nord.

Le véritable attrape-rêve –que l’on appelle a’sûbike’cin en dialecte Ojibwa qui signifie « ressemble à un filet (a’sub) » ou encore bwaajige ngwaagan qui signifie piège à rêves– est une sorte de raquette ronde (d’un diamètre de 10 à 20 cms) formée par une branchette forcée en cercle de saule, saule des vanniers, Salix viminalis, écorcée et séchée sur un rondin de bois et d’un filet en coton, en fibres d’autres plantes ou bien encore en tendons d’animaux (daims ou bisons). De cette raquette pendent de fines lanières de cuir auxquelles étaient attachées jadis des plumes d’oiseaux sacrés (aigle) remplacées aujourd’hui par des plumes peintes de dindons. De manière organique, l’attrape-rêves ne dure pas très longtemps, ce qui explique la rareté des pièces anciennes.

Trier les bons et les mauvais rêves

Les Amérindiens du Nord cherchent à préserver l’enfant, dès sa naissance, des mauvais esprits présents dans les cauchemars. La fonction originelle de l’attrape-rêve amérindien est d’attraper les rêves qui flottent dans l’air de la nuit et de les trier en bons et mauvais rêves. Cette « épuisette » à rêves était principalement fixée sur l’anse du porte-bébé qui servait aussi de berceau pour le « papoose » d’Amérique du Nord en compagnie de son cordon ombilical séché dans un petit sac des coquillages et d’autres charmes destinés à éloigner les mauvais esprits…

suite dans quelques jours.

Guy Lesoeurs

 

Si vous voulez en savoir plus l’article complet  » Capture mon rêve, Mère araiagnée.. »se trouve dans Le Numéro « Les Mondes de la nuit  » de la revue L’autre, clinique, Cultures et sociétés, 2004, vol5, 1, Editions La pensée Sauvage. Grenoble.