Grippe mentale au pays du management : la cure d’Authenticité

En marge de la prochaine rencontre de l’Institut Esprit Service intitulée Reconquérir le lien entre dirigeants, managers et salariés qui se déroule au MEDEF le vendredi 30 septembre matin (pour Dirigeants et sur invitation), je vous soumets cet article que j’avais écrit à ce sujet accompagné d’une vignette clinique :

Esprit aiguiséGrippe mentale au pays du management ! La machine à motiver dans l’entreprise et dans l’administration est grippée dans tous les sens du terme. Les pouls des battants sont devenus imperceptibles. Le cerveau des dirigeants est embrumé. L’escargot-jadis actif est rentré dans sa coquille. Il pleut des cordes d’amertume. L’imagination est au rancart, la rentabilité a chassé l’initiative et la disponibilité des individus. La confiance est en panne. L’ennui  a remplacé l’envie. Ne parlons pas du cœur…à l’ouvrage ou tout court … il bat la chamade.

Ainsi, personne n’y croit plus, du top management au collaborateur et tous les pansements, les baumes de la parole incantatoire sur les valeurs, l’effort et la responsabilité et le service public ne sont que thérapies bien pâles par et pour des cadres lassés du push n’d pull.

Il y a comme un désenchantement du monde du travail pour paraphraser Max Weber et Marcel Gauchet, c’est-à-dire une vacance de sens (Catherine Colliot-Thélème, 1990) alors que la valeur du travail ne serait que dans la signification qu’on lui donne (Boris Cyrulnik, 2010).

Les psys de tout poil sont appelés au chevet du malade. Qui s’attaque au symptôme, qui préconise une analyse profonde. Emile Coué, super-potard sera revisité. Boris Cyrulnik se fend d’une interview piqûre d’urgence au vitalisant cocktail solidarité- résilience et nous assure que « Le travail peut rendre heureux » (2011).

Ayant ainsi glosé et jeté ma gourme, je contemplais maintenant les multiples brouillons froissés de ce papier sédi-mentant (sic) dans ma corbeille. Je ne savais plus à quel thème high fashioned du management et de la coach-mania tartinée de psychanalyse de comptoir réunis me fier. Agility management me faisait penser à un dressage de chiens, écosystème à un bassin de décantation, sensemaking et storytelling étaient autant de buzz-words,… insignifiants.

La sonnette de ma salle d’attente me tira de ma torpeur naissante…

…Jean est entré dans mon cabinet, l’air peu amène et le regard fuyant. Jeune cadre d’une PME sous-traitante pour l’industrie pétrolière encore très florissante et bientôt néce-shisteuse. Je le fis asseoir en face de moi. Siège confortable. Examen rapide : allure dynamique mais portant un fardeau sur et dans sa tête. Extrait.

[…Qu’est ce qui vous amène ?

–       Eh bien, voilà. Mon épouse m’a conseillé de venir vous voir car elle a lu votre prospectus sur le soutien psychologique et le coaching de cadres. En fait, pour tout vous dire, je ne suis pas bien en ce moment dans ma boîte et cela retentit à la maison. Je n’ai plus mes marques ni ma place. Rien ne va plus. Je ne suis pas heureux dans mon travail ni dans ma boîte.

–       Etre heureux c’est quoi pour vous ?

–       Me sentir bien dans mon entreprise et mon travail.

–       Et cela veut dire quoi pour vous, vous sentir bien ?

–       Eh bien, je ne sais pas moi, c’est difficile à dire, c’est du ressenti. Je veux y croire à nouveau, me sentir reconnu et estimé. Reprendre la main et travailler avec des chefs qui jouent le jeu. J’ai envie de faire des choses intéressantes et utiles, je veux mieux comprendre et maîtriser le sens de mon travail. En fait, je veux vivre normalement dans mon entreprise, avec des patrons que j’estime parce qu’ils sont honnêtes avec nous et que cela me plaise !

Il vient de déballer tout ça d’une seule traite. Je m’enquiers :

–       Qu’entendez-vous par « vivre normalement » dans votre entreprise ?

–       Exploiter au mieux mes capacités sur des projets intéressants, prendre des initiatives, être moi-même, que l’on me fasse confiance et être partie prenante. Avoir de nouveau la fierté de dire nous….]

Si ce dialogue est rigoureusement authentique, je me garderais bien de le prendre comme un exemple paradigmatique et pourtant …cette vignette « clinique » nous en dit long car elle contient à la fois les symptômes, le diagnostic et la prescription appliqués à cette maladie que j’ai nommée grippe mentale…

Le constat est alarmant. Nombre de mots que prononcent Jean sont frappés au creux du négatif, rapporteurs de mal-être, d’insomnie prévisible et de mal de tête. La comparaison de l’entreprise à une boîte (terme du langage courant, s’il en est, mais qui, dans la morosité ambiante, prend toute sa dimension d’enfermement). La perte des repères et du sens du travail signerait même un état pré-dépressif. Alerte ! C’est chaud. Fièvre au boulot !

Et pourtant le discours de Jean porte des germes de solutions. Il suffit de les entendre et de presque rien pour y croire de nouveau, pour aller mieux…le « nous » est porteur d’espoir.

Le pronostic ? Encourageant si le topique est bien administré à doses filées au « malade » mais d’abord au dirigeant à forte dose.

Commençons par une bonne dose d’authenticité. Seul, « l’être soi » peut redonner du sens. Un management sincère et humain à tous les niveaux de l’entreprise, fait d’écoute et de mise en valeur des potentiels stimulera la disponibilité pour réfléchir et d’agir. La confiance, si facile à perdre, reviendra peu à peu, restaurera la conscience d’appartenir, la solidarité et l’envie d’y croire à nouveau.

Alors, le collaborateur (quelle que soit sa position) reprenant des couleurs plus vives, se sentant à nouveau bien dans l’entreprise et s’estimant reconnu à sa juste valeur par un management authentique c’est-à-dire alignant ses pensées et ses actes, s’investira naturellement et offrira à l’entreprise le meilleur de lui-même.

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une reconquête-quittons l’esprit guerrier !- mais d’une réconciliation sur des perceptions et des échanges humains authentiques. Pour paraphraser Boris Cyrulnik ou Emmanuel Lévinas, le remède le plus efficace à tous nos conflits c’est… L’autre. La thérapie de la confiance perdue c’est la culture de l’authentique.

Comment être authentique ? Tout un programme…

Esprit aiguisé
Esprit aiguisé, Collage de GLartis

Guy Lesoeurs, ex-cadre dirigeant de l’industrie pharmaceutique est psychanalyste, anthropologue de la santé et coach. Président de Cerveaux Sans Frontières International et de l’Institut Kerux International. Cabinet professionnel Route de St Rémy 13520 Maussane les Alpilles www.guylesoeurs.com

Bibliographie

C. Colliot-Thélène, Max Weber et l’histoire, Paris, PUF, 1990.

Lafay. D. Entretien avec Boris Cyrulnik « Le travail peut être beau et rendre heureux » in Les acteurs de l’économie Rhône-Alpes, janvier 2011 pp 26-37

Lesoeurs G.. Tournez manèges. Les managers du possible in AMIPS, Bulletin des Médecins des Industries des Produits de Santé, 2007.

Lévinas E. Altérité et transcendance, Montpellier, Fata Morgana, coll. “ Essais ”, 1995

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