Catégorie : A la volée
Le frère venu d’ailleurs…
Le Dr Taïeb Ferradji est un ami cher. C’est un humaniste dans tous les sens du terme. Docteur en Sciences Humaines, médecin, psychiatre, écrivain, spécialiste de la clinique transculturelle, il est aussi et surtout une personne de proximité par son sourire et cette faculté rare de poser son regard sans juger.
J’ai la grande chance de cheminer à ses côtés. Nous avons réalisé, ensemble, un film de formation destiné aux coordinateurs hospitaliers de prélèvments d’organes et de tissus sur l’approche tranculturelle. Nous avons appelé notre film Le frère venu d’ailleurs…approche transculturelle du don d’organes.
Je n’ai pas trouvé de meilleur titre pour cet article qui présente l’ouvrage de Taïeb Ferradji, Ces exils que je soigne qui vient de paraître et qu’il signera au salon du Livre.
Ces exils que je soigne
La migration d’un enfant de Kabylie
Début des années 1970 dans un village de Haute Kabylie en Algérie. Un enfant de dix ans à peine sert d’écrivain public aux femmmes et aux hommes qui veulent correspondre avec les leurs partis travailler en France. Taïeb Ferradji est l’un des rares villageois à savoir lire et écrire…
Quarante ans plus tard, à l’hôpital Avicenne de Bobigny, le villageois kabyle devenu kabyle devenu psychiatre écoute la parole des migrants et leurs familles venus de la planète entière. Ils ont en commun d’avoir cru au rêve doré d’un nouveau pays et d’avoir vécu la souffrance de l’arrachement à la terre natale. Dans un récit tendre et parfois tragique, un médecin livre son parcours de migrant. Une trajectoire bousculée par les soubresauts de l’histoire algérienne. Une histoire simple et bouleversante qui met des mots sur les blessures de tout exil pour apaiser le passé et oser exister.
En mon for(t) intérieur…
un monde de ressources…(suite)
…Il y a la quantité, il y a la qualité, la profondeur et le temps des choses…
Garder la trace
Il y a le rêve au passé c’est à dire les choses dont on se souvient et qui ne seront plus du tout comme elles étaient, c’est leur souvenir, leur ligne imaginée déposée en filigrane sur la feuille blanche en écho au présent. Le passé est le temps de l’imparfait car il lui manquait bien toujours quelque chose.
Il y a le rêve au futur, le seul vrai rêve car il n’existe pas encore. Lui aussi mérite qu’on en garde l’empreinte de l’idée… pour en faire quelque chose.
Existe-t-il un présent ? On peut seulement parler d’une petite portion de temps, ni tout à fait passée ni tout à fait future, que l’on appelle l’ici et le maintenant.
Pour un malade à l’hôpital, c’est la situation dans son lit, regardant par la fenêtre Paris la Belle en l’an 1999, une semaine avant l’an 2.000. Ce sont ses pensées immédiates déjà envolées du passé vers le futur, en esquivant le présent qui l’ennuie. Qu’il se projette dans l’avenir, et il n’est plus dans les draps chiffonnés, attendant le plateau repas, les soins ou une visite. Il est chez lui, sur le pas de la porte, rappelant son chien qui aboie dans la cour. « Il fait bon chez nous, c’est la veille de Noël. Je suis chez moi…chez moi».
Flash back ! Rêve-nu de son voyage dans le futur, il se réinstalle dans son lit, ici et maintenant, néanmoins plus tout à fait le même après ce voyage. Car il a entrebaîllé la porte et son rêve va devenir réalité, dès maintenant. Il ne s’agit pas de s’habiller et de partir. Il s’agit de guérir au plus vite, de trouver en soi des ressources pour que son rêve s’exauce. Etre premier de sa classe ou sortir plus vite de son lit, puis de sa chambre, puis de l’hôpital signifie beaucoup…d’efforts mentaux.
Le « for(t) intérieur »
Heureusement, la moindre pensée positive, le plus petit effort nous fait changer de sens. Autrement dit, tout ce que l’on pense et met en œuvre a des conséquences dans le temps. C’est notre pouvoir sur les choses. La perception de soi par les autres et par soi-même en est changée ; cela met en marche des forces dans son « for(t) intérieur » (selon Larousse, en mon for intérieur signifie au plus profond de ma conscience) et modifie notre façon de voir les choses. En fait, au delà de l’aide que peuvent apporter les autres, on reste seul avec soi-même et le seul monde sur lequel on peut s’appuyer pour faire quelque chose de soi-même est son monde intérieur.
Encore faut-il se donner la peine de l’explorer et de l’exploiter. Le repos forcé est, dans ce sens, un aspect positif du séjour à l’hôpital, pour qui sait s’en servir et qui reste, malgré l’adversité passagère ou coutumière, fort à l’intérieur.
En mon for(t) intérieur…
En mon for (t) intérieur, un monde de ressources…
Un séjour à l’hôpital est l’occasion d’une rupture avec l’environnement social habituel et un changement dans ses habitudes comme par exemple : les heures de repas, de coucher et de lever. On doit s’adapter à un nouvel environnement et établir le contact avec d’autres personnes, soignants ou « collègues » du couloir. On peut aussi en profiter pour changer ses habitudes de penser et faire le point avec soi-même, en construisant l’avenir. Cette opportunité de faire « peau neuve » dans sa tête inaugure une nouvelle façon de réfléchir, car on a du temps pour le faire, si on le veut. Il est facile d’écrire ses pensées, quand elles viennent, par exemple sur un cahier.
Devenir explorateur de son for(t) intérieur.
Le monde intérieur fourmille d’un nombre infini d’idées intéressantes qui peuvent s’offrir à celui ou celle qui veut bien se donner la peine. Point n’est besoin d’être intellectuel ou instruit. C’est une question d’observation. Des ramifications sans fin sont reproduites à l’infini dans notre cerveau, portant chaque fois des idées nouvelles. Imaginez un arbre à feuilles persistantes, comme le sapin qui reproduit jusqu’à sa plus petite branche la forme de son tronc et sur laquelle serait accrochée une guirlande de Noël, elle-même démultipliée en franges minuscules. Imaginez le monde contenu dans une frange, les molécules, les atomes, les mondes infiniment petits. Cela peut donner le vertige. On ouvre une porte qu’on ne peut refermer car se révèlent des univers inconnus dont on aurait envie d’explorer les recoins. Il nous faudrait mille vies pour le faire!
Garder la trace
Il y a la quantité, il y a la qualité, la profondeur et le temps des choses… suite
Récits de vie, « storytelling », des ponts entre…
des histoires et des hommes.
Raconter des histoires : des grands livres comme l’Iliade et l’Odyssée, la Bible, le Coran aux minuscules opuscules biographiques à compte d’auteur ou sur les blogs du Net… des conteurs kabyles aux slameurs de Belleville, la fonction du récit est, de tout temps, au coeur du lien social.
Se raconter …en analyse, en séance de coaching mais aussi au « café-contoire » (sic) ou aux dîners en ville : se mentir, médire quand personne n’en a cure mais en tout cas se dire…dans l’intimité ou sur scène improvisée.
Aujourd’hui, raconter une histoire est même devenu un moyen marketing (c’est tout dire!) pour les marques à qui l’on fait dire une vie réelle ou fabriquée pour toucher l’émotion du client. Le gros Bibendum de naguère a roulé son pneu global jusqu’à la porte du garage de Steve Jobs ou de William Gates-appelez-moi donc Bill entre nous et entre la pomme et le logiciel. Le silence de certaines sociétés cotées devient …assourdissant. Il faut communiquer avec une histoire mais pas forcément celle du patron. Cela s’appelle storytelling. Christian Salmon a bien décortiqué le phénomène dans son essai « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et formater les esprits » La découverte, Paris 2007. www.editionsladecouverte.fr;
De toute autre nature est la démarche de de Daniel Feldhendler qui annonce dans la présentation de son livre « Théâtre en miroirs, l’histoire de vie mise en scène » Préface de Jonathan Fox, paru en 2005 (déjà) aux Editions Téraèdre www.teraedre.fr dans la collection L’écriture de la vie : « Les hommes ne font pas le récit de leur vie parce qu’ils ont une histoire : ils ont une histoire parce qu’ils font les récits de leur vie »
Daniel Feldhendler, enseignant-chercheur à l’Université Goethe de Francfort/Main, participe à la formation des enseignants et intervient comme formateur dans l’éducation permanente des pays de l’UE. Il est membre de l’Association internationale des Histoires de vie en formation (ASIHVIF) et de l’Association internationale de Théâtre de récits de vie (IPTN).
Daniel Feldhendler nous raconte comment le recours à la mise en scène de récits de vie (playback theatre) www.playbacknet.org catalyse la mise en relation d’expériences singulières et met en perce la richesse interculturelle. Se raconter, se dire et se voir à la fois en tant qu’acteur et sujet de son histoire. Ce décentrage de soi est salutaire et éclaire l’individu qui a souvent perdu les fils de sa propre histoire. Cela fait écho à la posture transculturelle, dans son effort de « décolonisation de soi » (M.-R. Moro) www.clinique-transculturelle.org; afin de retrouver, par delà les différences culturelles, non pas cet homme culturel universel fantasmatique mais la profondeur humaine…
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