Le roman « Puisque c’est ça la vie » de Michèle Lajoux aux Editions du Cherche-Midi raconte avec beaucoup de sensibilité et de lucidité l’histoire d’une petite fille, Angeline, qui vit à Laon et en vacances à Aix en Provence, puis y grandit entre Irène, une mère hostile au coeur de pierre et Jean un père faible et irascible, le tout au milieu d’une famille bourgeoise étriquée et pleine de contradictions et de secrets.
Dans ce roman certes féminin mais que les hommes liront avec intérêt, le lecteur vit les frustrations et les infimes petits bonheurs d’Angeline, très fine observatrice de sa propre existence d’enfant qui « joue à ne pas être née » et qui court après l’amour impossible de sa mère, qu’elle envie, admire et qu’elle hait en même temps.
Un court extrait pour vous donner le ton :
« Angeline se dit qu’Irène n’as pas de chance, elle pourrait être la mère d’une jolie petite fille, un peu potelée,une brune aux cheveux frisés, aux yeux verts et au teint de lait. Une fille qui lui ressemblerait et qu’elle aimerait, pas une moche blondasseaux cheveux raides et au teint blafard, aux yeux bleus, et maigre, beaucoup trop maigre. Enfant, Irène aurait pu doubler Shirley Temple. Sur les photographies qu’Angéline admire en secret, la fillette, puis la jeune fille se promène d’image en image, épanouie, souriante, sportive en jupe plissée courte…[…]… Angeline contemple les photos, elle scrute les visages, épie, recherche une toute petite similitude entre les traits de sa mère et les siens. Si elle réussit à lui ressembler un peu, seulement un tout petit peu, Irène se risquera-t-elle à l’aimer d’un tout petit amour? » p.198
Le style de Michèle Lajoux est vif, les mots concrets choisis avec attention, les êtres et les lieux décrits avec cette pertinence du ressenti. On ressent qu’Angeline dissimule constamment ses affects à sa famille mais l’auteure réussit à nous les faire activement partager par ce dialogue intérieur sans sacrifier au pathos (voire au sordide de bon ton) auxquel nous habituent trop souvent d’écrivains bien installés.
Je ne peux que penser à Nathalie Sarraute (Enfance 1983, Tropismes, 1939, 1957)non pas pour le style de Michèle Lajoux qui est nullement abstrait mais pour une certaine manière d’agencer des moments encore tremblants de vie suspendue d’une enfance solitaire. Comme Sarraute, Michèle Lajoux traduit son langage intérieur avec une grande lucidité et on imagine Angeline, laissée pour compte, mal aimée, regarder ceux et celles qui s’agitent autour d’elle comme s’ils n’étaient plus les siens, se construire un moi fort et grandir, en dépit de tous, comme un papillon qui n’aurait jamais été chenille.
Guy Lesoeurs