COMMENT VIVRE ENSEMBLE… OU LA LAICITE A L’AIDE

Léon Ouaknine nous écrit régulièrement du Canada et c’est toujours avec grand plaisir que j’accueille ces articles qui sont de bon aloi, c’est-à-dire qu’ils sonnent juste aux oreilles des personnes sages qui réfléchissent un peu plus loin que le bout de leur nez.

Dans cet article, Léon commence très fort avec cette assertion « Lorsqu’on tient pour sacré et nécessairement vrai un texte religieux, on est littéralement au-delà de toute raison ». A partir de cette phrase-clé, Léon nous démontre qu’au nom de la religion et de la différence culturelle érigées comme les nouveaux piliers de la « morale » et de la bienpensance occidentale (chargées de faire régner un semblant d’ordre et d’harmonie en leur sein), on attente gravement à la laïcité, pourtant seule garantie de l’expression et de la liberté et du bien vivre ensemble.

Dans cet article, Léon Ouaknine récuse fortement les nouveaux canons de la bienpensance occidentale (sans doute à la recherche d’une forme de rédemption pour des péchés transgénérationnels, c’est moi qui le dit)  : surveiller l’expression et même le langage, mettre en exergue le fait de respecter le fait religieux même s’il bafoue le libre arbitre et l’égalité homme/femme et surtout considérer, a priori, que toute culture est bonne.

Léon constate que chaque rappel des règles de la laïcité est de nos jours interprété comme un acte de mise en cause d’une coutume religieuse ou culturelle et …les communautés de tout bord d’entamer le choeur des outragés. Le trés récent PV dressé par la Police française pour des raisons de sécurité à une conductrice vêtue de la burqa a déclenché une plainte pour ségrégation et ce n’est pas fini! Cet été, le Mimile français en tongs et marcel au volant de sa 2 cv 1962 va t il pouvoir en faire autant!  A Marrakech, bien entendu!

Alors comment vivre ensemble au Canada, en France et ailleurs ? Je vous laisse lire l’article de Léon et lui et moi accueillons bien volontiers vos commentaires.

Guy Lesoeurs

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La laïcité relève-t-elle aujourd’hui au Québec de la mélancolie ?

 Plusieurs valeurs aux fondements de la société québécoise et qu’on croyait intouchables sont maintenant régulièrement critiquées au motif que leur stricte interprétation nuirait au respect dû à la différence de « l’Autre » venu d’un ailleurs culturel ou religieux.  Citons entre autres, les critiques à l’encontre de la liberté d’expression (1), de l’égalité Homme/Femme (2) et de la séparation de l’Église et de l’État (3). Les critiques ne demandent évidemment pas l’abrogation de ces acquis enchâssés dans la charte des droits et libertés. Ils demandent simplement qu’on cesse de les considérer comme des absolus. Ce qui devient absolu, c’est l’exigence d’accommodement aux spécificités culturelles et surtout religieuses de « l’Autre ».

Que des islamistes décrient la parole libre, l’égalité Homme/Femme ou la séparation de l’Église et de l’État, n’a pas de quoi nous surprendre. Lorsqu’on tient pour sacré et nécessairement vrai un texte religieux, on est littéralement au-delà de toute raison. Mais que des intellectuels de renom comme Charles Taylor ou Daniel Weinstock en arrivent à relativiser l’importance des valeurs qui ont guidé l’émancipation des québécoises et des québécois au cours des 50 dernières années, voilà qui surprend et inquiète. Pourquoi en est-il ainsi ?

Je n’ai pas de réponse nette à cette interrogation. Peut-être ces intellectuels considèrent-ils ces « valeurs » comme culturellement marquées, honorables mais connotant du point de vue de « l’Autre » un occidentalisme arrogant et irrespectueux. Peut-être pensent-ils sincèrement qu’il n’y a rien de plus beau que l’arc en ciel multiculturel, et si cela implique une interprétation relativiste de la laïcité, de la liberté d’expression ou de l’égalité Homme/Femme, où serait le mal puisqu’aucun droit positif n’aurait été abrogé. Peut-être pensent-ils que cette mise entre parenthèses de ces valeurs occidentales ne serait que temporaire, le temps que « l’Autre » s’adapte à la culture du pays. Peut-être expriment-ils une forme de racisme inversé ; si des religions ou cultures n’ont toujours pas expurgé de leurs pratiques certains gestes barbares et déshonorants, soyons magnanimes et tolérons l’intolérable. Culpabilité ? Repentance ? Relativisme ? Racisme inverse caché ? Peut-être, peut-être, peut-être !

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Jouer, Rêver, Guérir… Cancer du sein et Art-thérapie

Jouer, Rêver, Guérir

 Un témoignage de Viva Iny

Viva Iny est psychothérapeute -psychanalytique et travaille auprès des populations migrantes au Québec. Elle a été formée à l’Ethnopsychiatrie et à la Clinique Transculturelle de l’Ecole de Bobigny  (Pr Marie Rose Moro)

Cet article concerne l’expérience  subjective que constitue le cancer du sein. Comment traverser cette maladie sans séismes psychiques, sans exclusion sociale et sans stigmatisation ? Comment maintenir son courage et sa créativité ? Comment ne pas se dérober face au réel, et ne pas se laisser écraser par la maladie ? Comment réaffirmer que le soi demeure, et ne deviendra pas un esquif balloté par la peur, la douleur et la démission ?

C’est en jouant et seulement en jouant que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière.  C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi. De là, on peut conclure que c’est seulement en jouant que la communication est possible…” (D.W.Winnicott, 1975). Ce grand psychanalyste nous rappelle l’importance de l’activité ludique qui favorise la croissance, l’intégration psychique et, par là même la santé. La créativité favorise une prise en compte personnelle de la réalité extérieure, plutôt que simplement de la subir, en générant un espace intermédiaire qui mêle réalité psychique et réalité extérieure. L’art thérapie, par sa nature ludique, devient un espace transitionnel, où l’acte créatif de l’individu permet à celui-ci de réaffirmer son existence comme sujet de sa liberté et non comme simple corps victime de cancer. Dans le cas des femmes atteintes d’un cancer du sein, cet espace transitionnel permet de jouer avec les différentes réalités extérieures jusqu’à atteindre une cohérence relative de leur monde interne, jusqu’alors bousculé par les traumatismes  liés au cancer. La valeur de la thérapie par l’art repose donc essentiellement sur la possibilité qu’elle offre de mettre en fonction un processus réparateur. Les ateliers s’articulent autour de différents moments (le passé, la vie avant le cancer, le vécu, le futur) et aide les femmes à établir une continuité entre ces différentes étapes de leur vie en attribuant un sens à l’expérience vécue.  Les aspects psychiques  plus difficiles à cerner, qui sont liés au désir, à l’estime de soi, aux troubles de l’identité et de l’identification, au maintien de la pulsion de vie sont aussi abordés. La production d’art devient ainsi un pont entre l’avant et l’après de la maladie,  en actualisant  ces indispensables mouvements d’allers et de retours entre l’histoire antérieure et les préoccupations actuelles de la  femme au sein et de cet  espace transitionnel et de la dynamique groupale.

L’annonce du cancer est d’abord vécue  comme un séisme, un coup de tonnerre dans un ciel serein. C’est l’image d’un chaos au sein des cellules, d’un soudain désordre dans le cours de la vie. « On a perdu l’innocence du corps » (Clavreul, 1978). En effet, c’est l’identité qui est menacée.  Plus tard, au cours de la maladie, la perception de soi  sera remaniée (les traitements, les opérations mutilantes, les altérations physiques, la perte des cheveux, des cils et des sourcils), mais  par-dessus tout, l’identité est menacée. Le corps  à ces instants là, devient la totalité de l’identité, si l’on peut dire. Il en est le garant, le siège, la manifestation. Or le corps est attaqué,  « L’angoisse est au cœur du soma », figurée par le cancer, elle altère ce sentiment de continuité de soi (Winnicott, 1958), ce sentiment d’être soi-même, ce fil retissé en permanence entre notre monde interne et l’impact avec la réalité.

Suite au trauma initial de l’annonce du cancer et de sa présence irréfutable  l’expérience peut devenir et pour moi elle devint un voyage initiatique. Au départ, le trauma est conçu en tant que processus de métamorphose, plus précisément,  un phénomène à la fois structurant,  destructeur et constructeur. Cette conception se distingue de la vision médicale classique associant uniquement le trauma à un vécu débilitant et handicapant. Par exemple, comment vais-je surmonter cette grosse fatigue émotionnelle suite aux traitements ? L’angoisse de la mort me rend hyperactive. Je vis intensément, je roule à cent mille à l’heure. Cette course folle vise à évacuer l’angoisse et toute complexité dans la mesure ou celle-ci me confronte inéluctablement à la souffrance et à la mort. Je ne goûte plus à la vie. Il faut ralentir mon rythme sinon je risque de m‘effondrer. Lire le reste de cet article….

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La rencontre des cultures au Québec :

 

 

Léon Ouaknine signant son dernier ouvrage
Léon Ouaknine signant son dernier ouvrage

 Lorsqu’une culture essaie de s’enraciner chez l’autre, le dialogue ne se déroule pas dans un salon mais dans la vraie vie, dans l’usage partagé des équipements publics, dans le monde du travail, dans les écoles, dans les hôpitaux, dans l’arène publique, dans les média, bref dans le quotidien de la vie commune avec la culture d’accueil. Cela ne se fait pas sans difficultés. C’est pourquoi le dialogue des cultures d’ici et d’ailleurs s’avère non seulement désirable mais impératif si on veut éviter d’éventuels débordements xénophobes.  Mais le dialogue ne sera fécond que si les protagonistes parlent vrai, sinon ce sera l’enlisement dans les sables mouvants de la bienpensance, avec comme conséquence attendue, le réveil brutal comme la Suisse le découvre au détour d’un référendum.

Il faut bien comprendre qu’un dialogue des cultures ne ressemble en rien à un échange intellectuel parce que chaque culture a un fond irréductible d’irrationalité, indissociable de ses mythes et de ses valeurs. La culture n’est pas une proposition intellectuelle, c’est avant tout une identité. S’il fallait en donner une image, je dirais que la rencontre des cultures, c’est comme la rencontre de deux personnes, ce qui déterminera leur compatibilité et le plaisir qu’elles auront à dialoguer, ce sera leurs affinités et ultimement leur compatibilité, c’est-à-dire leur convergence sur les valeurs essentielles de la vie commune.

Le législateur a inventé la notion d’accommodements pour permettre à « l’Autre » de s’insérer dans un tissu sociétal qui lui est souvent étranger par quelques aspects. L’accommodement doit être raisonnable, ce qui signifie qu’il ne doit en aucun cas porter atteinte aux valeurs profondes et à l’identité de l’accueillant. L’accommodement, du point de vue de celui-ci, a pour vocation de faciliter l’intégration de l’autre dans son espace sociétal qui n’est pas vide d’identité. Cet accommodement ne peut être indéfini de même que toute politique de discrimination positive ne peut être que temporaire et non permanente sous peine de venir nier sa véritable raison d’être.

Cette approche généreuse est fondée sur un énorme malentendu, parce que la politique de multiculturalisme présuppose tout d’abord que sur un plan philosophique toutes les cultures se valent et que par ailleurs même au sein de l’espace identitaire de la société d’accueil, les pratiques du nouveau venu disposent d’une égale légitimité à reconfigurer le cadre sociétal du pays. Comment interpréter autrement la recommandation, il y a quelques années, du commissaire aux droits de la personne de l’Ontario, de faire droit aux demandes de création de tribunaux islamiques de la famille.

Or, l’accommodement aux valeurs et aux pratiques de l’Autre, a également un effet réel même s’il est difficilement quantifiable, sur l’espace psychologique nécessaire au confort existentiel de celui qui doit accommoder. En effet, comme pour tout individu, il y a pour toute culture, un « dedans » et un « dehors » une sorte de peau qui définit un intérieur et un extérieur physique et psychique, une frontière entre le soi et l’autre.  En occident, le dialogue avec l’autre se déroulait jusqu’au siècle dernier loin du centre de la culture d’appartenance des protagonistes ; soit aux marges de l’empire, dans les colonies ou intellectuellement dans les salons de l’élite ou par l’entremise des explorateurs – l’autre, c’était par définition l’exotisme, comme l’a si bien souligné Montesquieu avec son livre « comment peut-on être Persan ». Lorsqu’on cessait de dialoguer avec l’autre, on était instantanément replongé chez soi, dans son « dedans » ; le miroir ne renvoyait que le reflet de soi. C’était rassurant !

Sous l’effet de la mondialisation, les multitudes de l’autre, donc leurs cultures, se trouvent soudainement transplantées au cœur de mon chez-moi, ils ne sont plus « dehors », ils sont « dedans » ; la présence de l’autre, d’exotique devient envahissante, et le miroir à chaque coin de rue me renvoie un reflet d’une inquiétante étrangeté ; suis-je toujours chez moi ?

Les sociétés occidentales sont de plus en plus multiculturelles, multiethniques, multi religieuses ;  l’Autre qui prend racine chez moi, revendique et affirme sa différence ; il demande et parfois exige que la culture d’accueil se transforme pour accommoder ses valeurs et son particularisme.  Il y a de ce fait de moins en moins de « dehors » et de « dedans » et cette dissolution des limites secoue durement le cadre de références sociétal qui régit les rapports avec l’autre.  On aime que notre milieu de vie soit un prolongement de notre identité, un reflet de soi même, la société comme chez-soi est sinon une nécessité, du moins un désir comme tous les exclus sociaux le savent.  Tout cela est profondément anxiogène et explique le sentiment rampant de malaise  dans de nombreux pays occidentaux dont le Québec.

Nous sommes donc, à l’instar de la plupart des pays européens, un composite multiculturel, interpellés au quotidien par les aspérités du « vivre-ensemble ».  Les journaux se font sans cesse l’écho des ajustements que les communautés immigrantes requièrent de la société d’accueil au titre des « accommodements raisonnables ». 

Le bon sens  appelle au dialogue des cultures en présupposant du désir des tenants de chaque tradition ou culture, d’éliminer de leurs rapports tout conflit possible. Cette aspiration louable use inévitablement de la langue de bois parce qu’elle est condamnée à ne jamais nommer la réalité, sous peine de froisser ou même de blasphémer. Cette approche s’appuie implicitement sur certaines présuppositions erronées ;

La première erreur est de croire que l’existence de valeurs communes entre les cultures en dialogue est une garantie de bon voisinage et de compréhension.  C’est assez fréquemment l’inverse.  L’islam et le christianisme ont plus en commun entre eux – la notion d’un dieu transcendant – qu’avec le bouddhisme qui récuse cette même notion ; pourtant ils sont plus en mode de compétition entre eux qu’avec le bouddhisme.

la deuxième erreur, c’est d’ignorer que la culture n’est pas un construit rationnel, mais un ensemble inextricable d’affects, de croyances et de comportements inconscients, imperméables habituellement à la raison parce que la culture est une identité !

La troisième erreur est de croire que l’on peut vivre sans conflits.  Quelle illusion ! L’état de conflit est indissociable de l’humain[1].

Chaque culture a quelques valeurs originelles qui dictent ce qui est bien et mal, ce qui est vrai et faux, ce qui est licite et illicite, ce qui est désirable et ce qui est à proscrire, bref ces valeurs configurent l’expression physique et morale du « vivre ensemble » de ses membres. Malheureusement pour l’harmonie du monde, les valeurs originelles des différentes cultures sont souvent mutuellement exclusives.  À titre d’exemples, comment dialoguer pour une culture comme l’Islam, qui proclame l’unicité absolue et transcendante de Dieu, avec une culture comme l’Hindouisme, qui proclame l’existence de plus de 300 millions de divinités ; l’une regarde l’autre comme un blasphème, chacune affirme l’évidente erreur de l’autre ; l’une réprouve absolument l’abattage des vaches, l’autre ne voit aucun inconvénient à les manger.  En Europe, le suisse Tarik Ramadan[2] a suggéré en novembre 2003 aux docteurs de la loi[3] un moratoire sur la lapidation de la femme adultère mais a refusé d’en demander l’abrogation pure et simple ; un autre imam à Lyon en France revendique au nom de la religion le droit d’affirmer publiquement que la femme adultère doit être lapidée. Comment imaginer que dans un pays adhérent à la charte des droits et libertés, on puisse jamais accepter de telles assertions et pratiques sans déroger aux valeurs les plus fondamentales de la charte ? Nous avons nos propres démons et déments qui ne supportent pas que la femme puisse s’affirmer sans restrictions, comme le massacre de l’école polytechnique il y a vingt ans nous l’a douloureusement rappelé, alors ne donnons pas droit de cité à ceux d’une religion qui consacre officiellement par décret divin, l’infériorité de la femme.

Il n’y a pas de dialogue possible et fécond entre cultures hors de la garantie par l’État des libertés fondamentales et du respect de ces droits par tous.   

Pour pouvoir dialoguer avec leurs vis-à-vis, les progressistes au sein de chaque culture vont devoir introduire les notions de modérés et d’extrémistes ; les extrémistes sont les fondamentalistes dont une minorité dérive vers le terrorisme pour imposer ses vues suprématistes ;  les modérés sont les tenants du dialogue, ceux qui cherchent les solutions raisonnables.  Or les modérés ne peuvent dialoguer qu’en mettant de coté certains de leurs  préceptes doctrinaux, c’est-à-dire des croyances et valeurs constitutives de leur culture.  De la même façon qu’on arrive maintenant à inactiver certains gènes délétères chez l’animal, les modérés, pour être modérés, n’ont d’autre choix que de rayer de la carte génétique de leur culture, temporairement ou définitivement, certains de leurs fondements sacrés.

La culture occidentale, minée par le relativisme et la conscience malheureuse de son passé hégémonique  recherche les compromis au nom du respect louable de la différence de l’autre. Elle se réfugie dans une forme de tolérance molle, en appelant à des accommodements souvent mal pensés, qualifiés fréquemment et improprement de raisonnables, visant par lâcheté politique à acheter une paix illusoire, une paix bancale pour avoir fait l’économie d’un débat indispensable.  L’effervescence actuelle en témoigne, les présentes politiques de multiculturalisme sont maintenant ouvertement contestées en Suisse, en Angleterre, en Hollande, en Italie, dans les pays nordiques, en France ainsi qu’au Canada et au Québec. 

Au Québec, dans pratiquement toutes les situations où des « accommodements » ont été requis par les communautés culturelles, la dimension religieuse était au centre du litige ; en fait, on peut presque affirmer que le débat sur la nature du multiculturalisme québécois est un débat sur l’accommodement des religions au sein de l’espace public de la nation et que le mot culture sert de paravent au mot religion.

Dieu ne parle pas d’une même voix à tous ceux qui l’écoutent ; si cela était, on le saurait. Babel est plutôt la norme ! Or comment instaurer le vivre-ensemble dans une nation si on ne dispose pas d’une compréhension commune du bien commun. Seule la raison est capable de produire un dénominateur commun, seule elle permet un regard critique sur tout, puisqu’elle ne reconnaît aucun territoire interdit, telles les vérités révélées de ceux qui parlent aux multiples divinités. Comment concilier alors le respect des particularités de chacun, des multiples cultures, religions, modes de vie, avec la nécessité d’un lieu commun où tous peuvent se retrouver ?

La réponse de l’Occident, c’est bien sûr le principe de laïcité, la séparation de l’Eglise et de l’Etat.  L’une parle du salut, l’autre de la raison en marche. D’un coté les espaces identitaires privés – domaine d’expression libre des choix individuels et des communautés religieuses et culturelles – de l’autre un espace public doté d’une essence universelle, d’un savoir-être commun à tous.  Il va de soi que seul l’espace public peut être porteur des valeurs chargées de maintenir l’unité et la cohérence de la collectivité nationale, depuis que celle-ci n’est plus monolithique dans son identité. Ces valeurs communes quoique se voulant de portée universelle, ne peuvent toutefois émerger que de coutumes propres à une société historiquement constituée, c’est-à-dire spécifiques à une identité non universelle.  Cette identité particulière va au cours du temps servir de matrice au développement de l’espace public de cette société, espace public certes dégagé de sa gangue religieuse mais dont l’identité originelle est ineffaçable.   Les structures et les codes implicites de fonctionnement de l’espace public d’une société reflèteront donc l’éthos du peuple fondateur – méritocratie américaine, différentialisme aristocratique anglais, élitisme égalitaire français, pragmatisme flou du Québécois… – La laïcité n’implique pas le renoncement à son histoire ; les églises ne sont pas des espaces publics, cela ne les empêchent pas cependant d’être simultanément des lieux de cultes et des monuments historiques, témoignant de la continuité civilisationnelle du peuple qui les a édifiées.

Le grand débat culturel de l’heure, c’est évidemment de savoir si en occident, l’islam est compatible avec la laïcité.  Les tensions sont vives face aux multiples requêtes de transformation de l’espace public, de la part de certains groupes musulmans, comme la demande de réserver certaines plages horaires aux femmes dans les piscines municipales ou exigeant des lieux de prière dans les établissements publics, sous peine de poursuites judiciaires comme ce qui advint avec l’École Supérieure de Technologie de Montréal.  Ce débat est-il spécifique à certaines cultures dont  l’islam ?  Il semble que l’intégration des chinois en occident ne soulève pas ce type de difficultés, en effet  malgré l’importance de leur communauté, aucune friction de ce genre n’a émergé entre les Parisiens et les 500.000 chinois de la grande agglomération.  Probablement parce que ceux-ci ne contestent pas le principe de laïcité des institutions publiques, soit la séparation de l’Église et de l’État, autrement dit la distinction entre sphère privée et sphère publique.

 

 

 

 

Léon Ouaknine

 

Consultant

Ex DG d’établissements de santé et de services sociaux au Québec

Ex Directeur du diplôme universitaire de qualité en santé Faculté de médecine, Kremlin-Bicêtre, Université Paris-Sud, France

 

 

 


[1]Dr Samir Mouny, l’Autre 2002 « Penser l’ennemi »

[2]Célèbre intellectuel suisse musulman , professeur invité dans de nombreuses universités, petit-fils du fondateur de la confrérie des frères musulmans en Egypte Hassan El Bana.

[3]Cette demande de moratoire fut refusée par les docteurs de la loi.

Sarayaku… mon village avec sa forêt et sans pétrole(6)

Des enfants heureux

 

Tiré d’un texte de Corinne Arnould de l’Association Paroles de Nature

La déforestation est une réalité quotidienne pour les dernières communautés indiennes d’Amazonie : elle représente la mort de leur milieu de vie et la fin de leur culture. Parmi les causes, figure en bonne place l’exploitation du pétrole. 

Face à l’avancée des compagnies le peuple indien Kichwa de Sarayaku, en Equateur, a choisi de faire face. Depuis plusieurs années, il refuse obstinément toute pénétration sur son territoire afin de préserver son héritage naturel et culturel. Le projet de ce peuple a ainsi une portée universelle ; son ambition est la valorisation de ses traditions, de son mode de vie, de ses croyances, de sa culture…

Les menaces persistent : le 8 mai 2009, le Ministère des Mines et du Pétrole Equatorien a notifié la reprise des opérations d’exploitation des hydrocarbures dans les blocs 23 et 24 incluant les territoires du peuple Kichwa de Sarayaku et des communautés Achuar et Shuar de la Région Amazonienne.

Inspiré par les Yachaks (shamanes), le projet « Frontière de Vie » est la création sur le pourtour du territoire de Sarayaku, 300 kms de long et 135 000 hectares de forêt primaire d’une immense frontière d’arbres à fleurs de couleurs. Un symbole à valeur universelle émergera ainsi lentement de la forêt amazonienne, vivante incarnation du désir universel de paix et de protection de la Terre. Ce sera le message de tout un peuple, élan vital, expression de sa volonté farouche de préserver son mode de vie, mais aussi, de créer avec nous une vaste solidarité planétaire.

Une analyse réaliste de l’évolution des perspectives politiques et démographiques actuelles concernant les forêts primaires tropicales aboutit à la triste conclusion que, si rien n’est fait,  leur destruction généralisée est, à terme, inéluctable. L’exploitation forestière forcenée et l’extension de l’agriculture en sont les principales causes. Le déplacement et l’acculturation programmée des peuples autochtones, fins et légitimes connaisseurs des écosystèmes forestiers, nous prive du précieux savoir dont ils sont détenteurs.

Dix à vingt millions d’hectares de forêt amazonienne disparaissent chaque année. Disparition sans retour, car on ne sait pas reconstituer un écosystème forestier complexe.

Les peuples de la forêt sont les premières victimes de la destruction de leur environnement. Autrefois nomades, chasseurs et cueilleurs, leur prélèvement sur les ressources naturelles s’est toujours inscrit dans le respect des équilibres vitaux. Aujourd’hui, la modernité arrive avec tout le cortège des maux de notre civilisation. Perte d’identité, acculturation, alcoolisme, dislocation des cellules familiales et sociales sont ainsi devenu les maux quotidiens des hommes de la forêt. Quelques uns, cependant, ont décidé de réagir et de construire.

En attendant une prise de conscience globale de l’importance vitale que revêt la préservation des forêts primaires et des cultures qu’elles abritent, les initiatives de sauvegarde de ces patrimoines émanent d’associations qui luttent pour ne pas laisser se rompre les fils qui relient l’homme à la nature. Leur mission est d’importance.

Peut-être, grâce aux associations citoyennes, verrons-nous un jour un chamane amazonien couronné par un prix Nobel, au nom de sa tribu et de ses ancêtres, pour l’ensemble de ses connaissances botaniques et la sagesse des relations écologiques qu’il entretient avec son milieu. www.parolesdenature.org

Sarayaku, peuple de l’Amazonie équatorienne, lutte depuis 20 ans contre la destruction de son territoire et de sa culture par les compagnies pétrolières

•  Leurs droits élémentaires sont bafoués: violences extrêmes contre les personnes, destruction du territoire,…

•  Leur situation est emblématique des enjeux du pétrole : jusqu’où sera t-on capable d’aller pour sauvegarder notre mode de vie ?

•  Ses dirigeants sont placés sous protection d’Amnesty International ; la cause de Sarayaku a été validée par la cour Inter-Américaine des droits de l’homme

•  Le projet de ce peuple a ainsi une portée universelle ; son ambition est la valorisation de ses traditions, de son mode de vie, de ses croyances, de sa culture.

Sur RFI une émission sur Sarayaku …

Il est possible de télécharger le lien vers le fichier audio

Lien coté droit de la page : 

http://www.rfi.fr/contenu/20091125-2-sarayaku-peuple-contre-le-petrole

 Dernière minute : Copenhague : le Parlement Européen adopte l’amendement 62 concernant le droit de propriété collective et autonome des peuples indigènes.

De Rio à Copenhague, les dirigeants des pays ont tenté d’adopter des mécanismes permettant de limiter le changement climatique ce qui a entraîné des impacts négatifs sur les populations autochtones, peu ou mal reconnues dans leurs pays respectifs. L’essor des bio-carburants, par exemple, augmente la déforestation massive amazonienne pour des cultures intensives de colza. Ainsi, sous le prétexte de protéger la planète, des expropriations, des déplacements de populations hors de leur lieu de vie, la constitution de réserves  sont monnaie courante. Ce qui est le plus important : que les peuples autochtones soient consultés dans de vraies discussions pour organiser l’espace et leur permettre de gérer l’environnement avec les Autorités.

 « L’obligation imposée aux Etats d’organiser des consultations démocratiques des peuples autochtones lors la mise en place de projets sur leurs territoires s’est trop souvent conclue par de vastes fumisteries. Notre amendement pourra, nous l’espérons, permettre aux peuples autochtones de décider eux-mêmes de quels projets environnementaux ils souhaitent créer sur leurs territoires. » (Députée Européenne Catherine Grèze).

Approche transculturelle…en santé

FILM "Le Frère venu d'ailleurs..." Métisse

Depuis 2005, nous avons entamé une réflexion et une recherche sur l’approche transculturelle en santé, d’abord en ce qui concerne l’annonce de la maladie grave aux migrants et ensuite avec un groupe de travail transdisciplinaire que j’ai eu le grand plaisir d’animer sur la problématique de la communication des coordinateurs de prélèvements d’organes et de tissus avec les familles migrantes.

Après plusieurs colloques sur ces sujets (Marseille en 2005, Strasbourg en 2006 en ce qui concerne l’annonce de la maladie), un film et des publications que l’on trouvera dans ma bibliographie, nous avons mis au point avec le groupe de travail aidé par la Fondation Greffe de Vie et Roche, un programme de sensibilisation des soignants à la communication avec les familles migrantes qui viennent de perdre l’un des leurs susceptible d’être un donneur d’organes.

Par une enquête spécifique qui a été communiquée au Congrès Français de Transplantation (décembre 2008) et publiée (notamment dans  TRANSPLANTATION PROCEEDINGS, editions Elsevier) nous avons rendu compte de la difficulté des soignants hospitaliers à communiquer avec les migrants et à construire avec les familles un lien permettant d’envisager de manière sereine et éclairée la non-opposition au don d’organes.

En effet, les représentations de la mort, du corps, de l’âme peuvent être trés diverses selon les populations et le soignant, peu familiarisé à ces données anthropologiques et toujours pressé par le temps,  est souvent démuni devant le refus des familles qui le motivent par des raisons religieuses.

Le programme que nous proposons aux Equipes hospitalières est constitué d’un film de formation avec deux séquences de jeux de rôles. Ce film le frère venu d’ailleurs  Pitch du film « Le frère venu d’ailleurs… » de G. Lesoeurs et T. Ferradji que j’ai co-réalisé avec le Dr Taïeb Ferradji, psychiatre des hôpitaux et qui est co-produit par Roche et SOCRAMED/KeruX  permet une discussion en profondeur sur l’approche transculturelle et sur la posture mentale de décentrage de sa propre culture pour admettre celle de l’Autre et tolérer ses incompréhensions.  On comprendra que l’objectif n’est pas d’obtenir la non-opposition au don d’organes à tout prix mais de laisser du temps au récit et à l’expression de l’Autre qui n’a souvent pas été sensibilisé à la nécessité vitale du don d’organes.

Avec le Dr Ferradji et quelques membres du groupe de travail, nous animons les réunions avec le film à l’hôpital qui sont organisées par Roche. Ces réunions (au nombre de 7 pour l’instant) rencontrent un très bon écho et s’avèrent trés utiles pour les soignants (Sur 70 participants qui ont rempli les feuilles d’évaluation nous constatons un taux de 100% de satisfaction dont 70% de Trés Satisfaits et le même taux  concernant l’appréciation de l’utilité).

Lire le N° Spécial Métisse AIEP Métisse (AIEP) ainsi que le  poster FRERE  présenté à la Société Française de Santé Publique SFSP de Nantes.

A noter que le film « Le frère venu d’ailleurs » a obtenu le premier prix de la communication AFIDTN (Association Française des infirmières de Dialyse et de Transplantation) et le prix Question d’éthique du Festival de la communication médicale de Deauville 2009 et qu’il a été présenté au Festival du film médical de Leurquin.

Nous effectuerons une conférence sur l’annonce transculturelle de la maladie et l’approche transculturelle du don d’organes au Centre Culturel Français de Tlemcen (Algérie) qui nous a invités début février 2010.

En conclusion, il est nécessaire de rappeler que 30,7% des familles endeuillées ont refusé le prélèvement d’organes en 2008 au lieu de 28% en 2007 (Source Agence de la Biomédecine)  et que dans le même temps 13.000 malades étaient dans les listes d’attente de greffe. Il faut aussi rappeler qu’un donneur sauve environ 4 vies et améliore la vie de 3 autres. Il est donc nécessaire qu’un travail de sensibilisation soit poursuivi de manière plus intense auprès de la population, de quelque origine qu’elle soit.

Guy Lesoeurs